
In le première partie de cet essai, j’ai fourni la justification et la méthode d’offrir une série de “pierre de touches« au moyen de laquelle nous pourrions « cartographier » l’ensemble de Dante Divine Comédie. Mon objectif principal est de parler d’un très petit nombre de parties du poème qui semblent avoir une importance écrasante dans notre compréhension de l’ensemble. Dans cette deuxième partie, je ne considérerai que trois moments de la Purgatoire et suggérer comment ils forment une interprétation du poème au total.
Purgatorio I: Le pèlerinage comme raffinement de l’Intellect
Au début du deuxième cantique, Virgile et Dante émergent sur les rives d’une île, d’où s’élève la grande montagne du Purgatoire. Au sommet de cette montagne, comme ils le découvriront, se trouve le Jardin d’Eden d’où tous les hommes vivants sont exilés.
Les deux pèlerins rencontrent Caton, gardien de ces rivages, et bien qu’ils aient pu être surpris de voir le grand suicide païen ici plutôt qu’en enfer, c’est lui qui, en les voyant, demande: “Les lois de l’abîme—ont-elles été brisées?”[1] Mais ces lois n’ont pas été enfreintes; elles sont plutôt en train de s’accomplir, alors que Virgile et Dante suivent les pas de ces âmes qui font leur dernier pèlerinage de l’exil dans l’Égypte de ce monde vers le véritable Israël, la terre promise du Royaume de Dieu.[2]
Certaines de ces âmes arrivent sur le rivage et, voyant que Dante a un corps et projette ainsi une ombre, elles » fixèrent durement mon visage, comme si elles avaient oublié de procéder à leur perfection.”[3] Et en effet, ils oublient. Une âme que Dante reconnaît alors que son amie, Casella, s’approche d’eux. Dante lui demande de chanter. Casella commence “doucement « à chanter » L’amour qui me parle dans mon esprit », l’un des poèmes d’amour philosophiques de Dante, l’un des trois cantiques qui apparaissent dans le Convivio, L’incursion la plus ambitieuse de Dante dans la philosophie.[4] Toutes les personnes présentes deviennent enchantées.
Puis Caton entre à nouveau, réprimandant tout le monde: « Qu’avons-nous ici, esprits retardataires? / Quelle négligence, quelle persistance est-ce?”[5] Ils se dispersent tous et reprennent leur voyage. Au début du canto suivant, nous trouvons Virgile qui frappe sous la réprimande.[6] Le temps est maintenant révolu pour la philosophie de l’amour. La canzone de la Convivio est philosophique, lié à la terre, peut-être même erroné. Le Comédie est un poème, le vrai poème, de la théologie de l’amour. L’apprentissage mondain, une fois approprié, détourne maintenant l’esprit de son véritable but et de son salut.[7] L’intellect est appelé non seulement à aller au-delà des profondeurs du péché, mais à aller au-delà de la philosophie, à trouver son accomplissement sur un plan supérieur. Bien que nous ayons dépassé l’enfer avec son choc fréquent aux sens de Dante, le poème restera celui qui implique de corriger et d’affiner l’intellect et la volonté pour les rendre dignes de la vision de Dieu. Même dans le Paradiso, dans le Ciel même, l’esprit de Dante sera doucement « corrigé », car il est amené de l’émerveillement déconcerté à une plénitude de connaissance. Ici, la honte de Virgile confirme que de dures leçons restent à tirer.
Purgatorio II: Icône de la foi
Dante le poète suit de plus près Virgile le poète dans le Inferno. Virgile reste non seulement le guide de Dante alors qu’ils montent à travers le Purgatoire (un endroit que Virgile n’a jamais vu ni écrit auparavant), mais les échos de la poésie de Virgile deviennent plus profonds. C’est parce que Dante puise mais transforme certaines caractéristiques de son ancêtre bien-aimé dans le métier et clarifie le sens de son poème en faisant écho à Virgile mais aussi en se distinguant de lui.
Dans l’ouverture de Énéide VI, la Sibylle trouve Énée regardant des sculptures en relief dans un temple qui avait été construit par Dedalus après la mort de son fils Icare. Avec une certaine licence, Virgile nous raconte que Dedalus, en deuil, avait essayé et échoué de sculpter l’image de son fils perdu (on nous demande de percevoir l’invisible: une image jamais faite d’un non-fait). La Sibylle reproche à Énée de regarder des images taillées alors que les profondeurs de la réalité elle-même l’attendent et sont sur le point d’être rendues visibles, alors qu’il voyage avec elle dans l’Hadès. Alors que Dante se dirige vers la montagne du Purgatoire, il nous exhorte de la même manière: « Ici, lecteur, que tes yeux regardent la vérité avec acuité, / pour l’instant le voile est devenu si mince.” Avec Dante, et comme Énée avant lui, nous allons au-delà de l’imitation et de l’apparence à la vision de la réalité elle-même.
Ce que cela implique est représenté pour nous dans une image que, dans un paradoxe semblable à l’image non faite d’Icare, Dante entend mais ne voit jamais. Pour donner un sens à cela, nous devons nous référer une fois de plus à la Énéide. Le passage le plus célèbre de tout le poème de Virgile se produit à la fin du livre II, la chute de Troie. Alors qu’Énée fuit à contrecœur la ville qu’il préférerait défendre jusqu’à la mort, se rendant ainsi immortel dans la gloire martiale, il fait sa sortie d’une manière des plus particulières. Il soulève sur son épaule le corps faible de son père Anchise. Anchise lui-même détient les idoles des dieux de la maison, leurs pères divins. Aux côtés d’Énée, tenant sa main, marche son fils Ascanius. C’est l’image même de l’idée romaine de pietas: porter sur ses épaules les trois pères de la famille, de la patrie et de la divinité; les porter à travers le feu du présent et dans l’avenir, pour le bien des générations futures représentées par le fils.
Au début de Purgatoire Canto 9, Dante dort et a un rêve de Zeus comme un aigle portant Ganymède au ciel. Quand il se réveille, il découvre qu’il a lui-même été porté plus haut—non pas au ciel, mais plus près de lui, sur la pente de la montagne du Purgatoire. Virgile lui dit ce qu’il a manqué: pendant que Dante dormait, Sainte Lucie (qui a été mentionnée pour la première fois dans Inferno 2), est venue les voir. Elle porta Dante inconscient dans ses bras et le porta sur la pente, Virgile suivant derrière elle. Le tableau de Virgile était celui de la piété; ce tableau invisible est celui de la foi. La foi, comme le note Thomas d’Aquin, est une sorte d’audition, de sorte que Dante n’entend que le tableau; il ne voit pas la vérité dévoilée.
Quelle icône de l’ensemble du deuxième cantique du poème! Virgile, représentant de l’art classique, de la raison et de la philosophie peut encore voyager avec Dante mais il ne peut plus le conduire; il doit le suivre. La nature humaine ne suffit plus. Au contraire, la grâce surnaturelle doit descendre et porter la nature impuissante de Dante vers le haut; la vertu infusée de la foi, qui n’entre pas par les sens mais par la seule grâce infusée, doit donc agir alors que Dante lui-même est insensé. Lucy portant Dante avec Virgile suivant répète ainsi mais transforme l’image de Virgile d’Énée portant son père tandis que son fils suit. La piété naturelle se transforme intérieurement en vertu surnaturelle de la foi.
Comme pour clarifier à quel point la raison naturelle sera inadéquate, à partir de ce moment, les pèlerins sont obligés de gravir trois marches: une réfléchissante et blanche, une de roche en ruine et une “rouge flamboyant comme du sang.”[8] Toute interprétation de l’escalier doit être allégorique. C’est-à-dire qu’il nécessite un saut surnaturel du sens littéral à un sens spirituel révélé. Ils représentent: l’autoréflexion; la reconnaissance de son âme brisée par le péché; et la reconnaissance du besoin de pénitence. La raison naturelle de Virgile ne peut pas le savoir, bien qu’elle puisse suivre; seule la foi de sainte Lucie peut le révéler.
Purgatorio III: L’Ordre de l’Amour
Les cantos centraux de la Purgatoire, 16-18, marquez également le centre de l’ensemble Comédie. En ce centre, nous apprenons que ce poème, sur le raffinement de l’intellect et de la volonté pour les rendre adaptés à la vision de Dieu, est avant tout une tentative de décrire la réalité comme créée par Dieu qui est Amour Lui-même, qui fait que toutes choses soient par son acte essentiel d’amour, et qui appelle toutes choses à lui revenir comme la fin propre de tous nos amours.
Dans le Canto 16, nous apprenons l’origine de l’âme de la main de Dieu. Il entre dans le monde « simple », c’est-à-dire dans le mouvement naturel de l’amour qui cherche son propre bien, mais sans savoir où le trouver. Si elle est laissée indisciplinée, l’âme tombe simplement amoureuse de la saveur de tous les “biens insignifiants ».”[9] Les dirigeants spirituels et temporels doivent freiner et façonner l’âme au moyen de l’exemple et de la loi.
Dans le Canto 17, nous apprenons le modèle ontologique auquel l’âme doit se conformer au moyen d’une image objective de l’amour pervers ou pécheur. Cette image est la montagne du Purgatoire elle-même. Virgile dit à Dante que toutes les créatures aiment. Les choses purement matérielles sont motivées par un amour naturel; les êtres humains et les anges se déplacent selon l’amour intellectuel. L’amour naturel se dirige toujours vers sa propre fin, mais l’amour intellectuel peut se tromper. Il peut prendre des fins perverses pour son bien et tomber dans les péchés d’orgueil, d’envie et de colère; il peut ne pas aimer le bien authentique avec suffisamment d’ardeur et tomber dans le péché de paresse; ou il peut aimer les biens finis en excès et commettre les péchés d’avarice, de gourmandise et de luxure.
L’amour, dit Virgile “ » est la semence en toi de toute vertu / et de tous les actes méritant punition.”[10] La signification du récit de l’amour de Virgile, qui doit beaucoup à la tradition classique ainsi qu’aux saints Augustin et Thomas d’Aquin, devient plus claire si nous le contrastons avec les théories modernes de la volonté. Une vision libertaire moderne de la personne humaine prétend que nous sommes libres dans la mesure où nous pouvons choisir ce qui sera notre bien: ce que nous aimerons comme notre bien, ou si nous aimerons du tout, dépend de nous. Une vision déterministe moderne de la personne observe que les êtres humains ne fonctionnent pas vraiment de cette façon. Le désir nous émeut plus que nous ne sommes responsables de le déplacer; nous ne pouvons généralement pas choisir ce que nous aimons, et en effet, il semble que nos désirs soient déterminés pour nous. La doctrine de Virgile passe entre les deux comme entre Scylla et Carybde.
Nous sommes en effet nés dans le monde déjà aimant. Nous sommes comme un arc avec sa flèche tirée en arrière et dirigée—une image répétée dans le poème pour décrire l’orientation de la volonté humaine vers le bien. La flèche est dirigée vers le bien, qui est Dieu lui-même. Mais nous pouvons pécher, nous pouvons manquer la cible, que ce soit en détournant la flèche de sa bonne orientation ou en reculant trop loin ou en laissant la corde tirer lorsqu’elle est trop relâchée. Seulement dans le contexte de notre origine dans l’amour et la détermination Telos, ou la fin appropriée, de cet amour y a-t-il de la place pour la liberté humaine. Notre liberté ne réside pas dans le choix de notre fin, mais dans le choix de la manière de la viser. Ainsi, dans le Canto 18, nous apprenons que le simple fait d’aimer en soi n’est pas une vertu; ce n’est qu’en aimant notre propre fin que nous pouvons être vertueux. L’étude de notre fin propre et des moyens d’y parvenir est ce que, nous dit Virgile, les anciens nous ont donné comme science de l’éthique.[11]
Le poème de Dante est, en ce sens, un poème éthique. Il a pour sujet d’entraîner l’âme, par le raffinement de l’intellect, à faire correctement l’acte de volonté qu’est l’amour. C’est aussi un poème philosophique ou métaphysique, dans la mesure où il ne se contente pas de discuter de la façon dont nous devrions diriger notre amour, mais explique qui nous sommes essentiellement en tant qu’êtres aimants. Et c’est avant tout un poème théologique, car il révèle ce que Virgile et l’Aristote de la Éthique et Métaphysique impossible de savoir pleinement: la révélation du Dieu qui est amour et qui dans son amour “déplace le soleil et les autres étoiles.”[12] La plénitude de cette révélation attend les paroles de celui qui, le premier, a envoyé Virgile pour sauver Dante du bois sombre: la figure de la première muse de Dante, la figure qui a été pour lui “dame philosophie” elle-même, mais qui doit maintenant devenir quelque chose de beaucoup plus grand, la figure de la foi surnaturelle et de la connaissance théologique de la foi: la figure de Béatrice.
Synthèse
Dans le Purgatoire, Dante continue d’affiner son intellect afin de conformer son esprit à l’intellect créateur de Dieu. Virgile, en tant que représentant de la poésie mais aussi de la raison philosophique classique, a été son guide adéquat jusqu’à présent. Mais, dans ce deuxième cantique du poème, le raffinement de l’intellect se poursuit alors même que nous commençons à voir les limites de la raison et à les dépasser. Virgile éprouve de la honte à rester au ralenti dans la poésie de la simple philosophie, alors qu’ils sont déjà sur les rives d’une terre qui mène aux royaumes de la foi. Virgile suit quand Sainte Lucie, une figure de grâce surnaturelle et de foi, porte le Dante mou et insensé sur la montagne-quelque chose que Dante serait en quelque sorte impuissant à réaliser avec seulement Virgile pour compagnon. Virgile, empruntant largement à l’éthique classique d’Aristote, récite au centre même de l’épopée dans son ensemble, un récit de l’amour qui est, pour ainsi dire, une carte du poème en peu de choses. Apprendre la vérité sur l’amour est le but central du poème, et Virgile, à sa manière limitée, est capable d’enseigner cette vérité à Dante. Ce faisant, il reconnaît qu’un autre instruira Dante plus pleinement. La raison conduit l’intellect vers la vérité, elle se concentre sur la nature de l’amour, qui est le principe d’ordre fondamental de toute réalité, mais la raison prévoit aussi ses propres limites et prépare Dante à les dépasser sous la direction de Béatrice, la figure de la foi surnaturelle.
[1] Dante, La Divine Comédie, Purgatorio 1.46.
[2] Dante, La Divine Comédie, Purgatorio 2.46.
[3] Dante, La Divine Comédie, Purgatorio 2.74-75.
[4] Dante, La Divine Comédie, Purgatorio 2.113, 112.
[5] Dante, La Divine Comédie, Purgatorio 2.120-121.
[6] Dante, La Divine Comédie, Purgatorio 3.7.
[7] Dante, La Divine Comédie, Purgatorio 8.19-20.
[8] Dante, La Divine Comédie, Purgatorio 9.101.
[9] Dante, La Divine Comédie, Purgatorio 16.91.
[10] Dante, La Divine Comédie, Purgatorio 17.103-104.
[11] Dante, La Divine Comédie, Purgatorio 18.69.
[12] Dante, La Divine Comédie, Paradiso, 33.145.