La fête de saint Raymond de Penyafort (1175-1275) est célébrée aujourd’hui dans le calendrier traditionnel, (7 janvier dans le calendrier moderne.) Voici la collection dans le Missel romain utilisé avant 1962:
Deus, qui beátum Raymúndum pœniténtiæ sacraménti insígnem minístrum elegísti, et per maris undas mirabíliter traduxísti: concéde; ut ejus intercessióne dignos pœniténtiæ fructus fácere, et ad ætérnæ salútis portum perveníre valeámus.
Ô Dieu, Qui a choisi le bienheureux Raymund pour être un ministre renommé du sacrement de Pénitence, et l’a miraculeusement fait traverser les vagues de la mer, accorde que par son intercession nous puissions produire des fruits dignes de notre pénitence et être capables d’atteindre le havre du salut éternel.
et voici la collection du Missel romain moderne:
Deus, qui beátum Raimúndum presbýterum insígnis in peccatóres et in captívos misericórdiæ virtúte decorásti, eius nobis intercessióne concéde, ut, a peccáti servitúte solúti, quæ tibi sunt plácita líberis méntibus exsequámur.
Ô Dieu, qui a paré le prêtre Saint Raymond de la vertu d’une miséricorde et d’une compassion exceptionnelles pour les pécheurs et les captifs, accorde-nous, par son intercession, que, libérés de l’esclavage au péché, nous puissions accomplir en liberté d’esprit ce qui vous plaît.
L’ancien recueil parle du sacrement de pénitence et prie pour des fruits dignes de notre pénitence. En effet, saint Raymond n’était pas seulement un ministre renommé, mais un guide sûr de la théologie et du droit canonique liés au sacrement. La Collection moderne parle de la miséricorde de saint Raymond pour les pécheurs et de notre liberté de l’esclavage au péché, ce qui semble un peu plus vague. Fait intéressant, il ajoute des captifs aux objets de la miséricorde de Saint Raymund, mais regardons d’abord la différence la plus importante entre les deux Collections.
La première collecte parle de saint Raymund ayant été miraculeusement amené à travers les vagues de la mer. Cela aurait été compris par ceux qui ont lu le bureau de Mattins avant les réformes de 1960. Il y avait neuf lectures comme il était d’usage pour tous les saints de rang semi-double ou supérieur. Comme d’habitude, les lectures 4-6 concernaient le Saint. Le récit de saint Raymund raconte comment il s’est rendu à Majorque pour y convertir les musulmans. (C’était une poursuite plus courante chez les hommes saints de cette époque qu’elle ne l’est aujourd’hui.) Alors qu’il était sur l’île, il a également réprimandé le roi Jacques Ier d’Aragon pour avoir amené sa concubine avec lui. (Réprimander les chefs d’État pour avoir des concubines était également une poursuite plus courante parmi les saints de l’époque qu’elle ne l’est aujourd’hui.) Comme le roi refusait de renvoyer sa concubine, Saint Raymund décida de partir, mais le roi lui en interdisait l’usage, et menaça tout capitaine de navire qui oserait le prendre. La Lectio 6 de Mattins résume la suite de l’histoire:
Multa patrávit miracula, inter quæ illud claríssimum, quod ex insula Baleari Majori Barcinónem reversurus, strato super aquas pallio centum sexagínta milliaria sex horis confécerit et suum cœnobium januis clausis fúerit ingréssus.
“Il accomplit de nombreux miracles, dont le plus célèbre est que de retour de Majorque à Barcelone, après avoir étendu son manteau sur les eaux, il parcourut cent soixante lieues (milliaires) en six heures et entra dans son monastère alors que les portes étaient fermées.”
Manteau (pallium) était l’extérieur noir cappa de l’habit dominicain. Saint Raymund en étendit une extrémité sur l’eau et fixa l’autre extrémité à son bâton de marche pour créer une voile rudimentaire. Au moment du départ de Majorque, Saint Raymund fut vu par les marins dans les bateaux qui lui avaient été interdits de le transporter ; ils l’agitèrent et l’acclamèrent. Arrivé à Barcelone, son arrivée a été accueillie par une foule de spectateurs émerveillés.
L’histoire a encore plus de bonheur dans sa fin: le Roi, correctement et convenablement impressionné par la réponse thaumaturgique du Saint à son obstination, a réparé ses voies, a fait pénitence et a vécu une vie vertueuse par la suite.
La 2ème édition de La vie des Saints de Butler (Édition complète) édité par Herbert Thurston et Donald Attwater conserve consciencieusement l’histoire du voyage miraculeux, mais ajoute dans les notes que,
« Les preuves sur de nombreux points sont si insatisfaisantes qu’il devient extrêmement difficile d’accorder une crédibilité sans réserve à des incidents de la vie de saint Raymund comme son voyage miraculeux de Majorque. »
J’ai suivi les deux références données aux volumes de 1921 et 1922 du livre Analecta Bollandiana mais je n’y ai trouvé aucune information sur le miracle, alors peut-être que je trouverai quelque chose un autre jour. Ce que les deux articles abordent, c’est le doute également évoqué par les éditeurs modernes des Vies de Butler, concernant le lien entre Saint Raymond et Saint Pierre Nolasco, et la fondation de l’Ordre de Notre-Dame de Rançon.
Dans les deux cas, il ne serait pas totalement injuste de rappeler que Thurston était un sceptique notable (on pourrait dire insignes) et donc on pourrait être pardonné de trouver extrêmement difficile, toujours bien sûr avec le plus profond respect, d’apporter un soutien sans critique à chacun de ses doutes.
Pour en revenir à la Collecte moderne pour saint Raymund, il est amusant de penser que l’insertion de captifs ainsi que de pécheurs dans la louange de sa miséricorde aurait pu être un geste envers ce qui est aujourd’hui considéré comme une préoccupation “éveillée”. Cela permettrait à l’activité de rançon rapportée de saint Raymund d’échapper à la peine d’annulation donnée à son voyage miraculeux. Si mes spéculations sont fondées, il serait amusant de soulever avec les compilateurs la question de savoir pourquoi ils ont ajouté une référence (non trouvée dans la Collecte traditionnelle) à ceux retenus captifs par les musulmans, en particulier à la lumière des efforts inlassables de saint Raymund pour les convertir, et pas seulement encourager Saint Thomas d’Aquin à écrire le texte. Summa Contre Les Gentils à cette fin, mais aussi en prenant des dispositions pour qu’il soit traduit en arabe.
CRÉDIT PHOTO: Wikimedia: Saint Raymond de Penyafort par Tommaso Dolabella (1627). Église dominicaine. Cracovie.