
Tle mouvement Communion et Libération (CL) est présent dans 90 pays à travers le monde avec des membres sur presque tous les continents. Son fondateur, feu Monseigneur Luigi Giussani, était un ami des papes et de certains des plus grands penseurs catholiques du XXe siècle. Ses livres et articles ont été traduits dans diverses langues et ont influencé beaucoup de ceux qui les ont lus, y compris notre Saint-Père actuel, le Pape François. Pourtant, il arrive souvent que lorsque je mentionne le nom de Giussani ou le mouvement ecclésial né de son expérience, la plupart des gens ignorent complètement les deux. Cette année, à l’occasion du 100e anniversaire de la naissance de Giussani, un examen plus approfondi de sa vie et de son œuvre peut aider à éclairer ce moment historique de la vie de l’Église et l’importance de l’insistance renouvelée du Saint-Père sur la synodalité.
Dans une interview avec Trace, la publication mensuelle de CL, l’Archevêque Christophe Pierre, Nonce pontifical aux États – Unis, a parlé du lien entre la pensée du pape François et Giussani:
Je retrouve les mêmes éléments: la rencontre, le danger de l’idéologie, la dimension missionnaire, l’ouverture à l’autre, la relation entre le Christ et l’Église, le chemin ensemble, et aujourd’hui aussi, la synodalité comme méthode. Vous trouverez tous ces concepts chez Giussani. Ils vous aident à comprendre dans le contexte d’aujourd’hui où il faut aller pour grandir dans la foi.[1]
Il est intéressant de noter que l’archevêque Pierre « livre termine » sa liste de similitudes entre le Saint-Père et Giussani avec rencontrer et synodalité. L’enthousiasme du Pape François pour parler du christianisme en termes de rencontre avec le Christ est bien connu. Ce thème de la rencontre a été repris dans le premier document de la papauté de François, l’Exhortation apostolique Evangelii Gaudium dans lequel il cite son prédécesseur “ » Être chrétien n’est pas le résultat d’un choix éthique ou d’une idée élevée, mais la rencontre avec un événement, une personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et une direction décisive. »Je ne me lasse pas de répéter ces paroles de Benoît XVI qui nous emmènent au cœur même de l’Évangile.”
Pour quiconque est tombé sur l’un des nombreux articles ou livres de Giussani, ou a déjà rencontré quelqu’un qui suit le mouvement CL, il est immédiatement évident que la catégorie de la rencontre est au cœur de sa pensée. Dans un discours prononcé en 2015 devant un rassemblement de ceux qui suivent CL, le pape François a exprimé sa profonde gratitude pour le travail de Giussani, un sentiment qu’il a répété à plusieurs reprises avant et pendant son pontificat. Il a dit à l’assemblée:
Je suis reconnaissant à Don Giussani pour différentes raisons. Le premier et le plus personnel est le bien que cet homme a fait pour moi et pour ma vie sacerdotale, à travers la lecture de ses livres et articles. L’autre raison est que ses pensées sont profondément humaines et atteignent le désir le plus intime de l’humanité. Vous savez combien l’expérience de la rencontre était importante pour Don Giussani: la rencontre non pas avec une idée, mais avec une Personne, avec Jésus-Christ.
On peut et on a beaucoup parlé de l’intersection de la pensée de ces deux hommes en ce qui concerne la rencontre. Mais la profondeur de leur compréhension commune du concept de synodalité reste à explorer. François a récemment fait de la synodalité l’un des thèmes centraux de son pontificat, et elle apparaît de plus en plus importante compte tenu des défis auxquels le monde est confronté aujourd’hui. Une division croissante, une crise de l’autorité et un effondrement des preuves qui rendent difficile l’accord sur des valeurs communes créent une situation qui menace de déchirer non seulement le monde, mais aussi l’Église.
La signification du mot synodalité est implicite dans son nom, qui vient des mots grecs syn (ensemble) et hodos (route, chemin). La synodalité implique un chemin qui se fait ensemble sous la direction de l’autorité ecclésiale. La Commission théologique internationale, dans son récent document sur la synodalité, décrit l’implication d’une telle compréhension de l’Église, en disant:
La synodalité est établie pour dynamiser la vie et la mission évangélisatrice de l’Église en union avec et sous la direction du Seigneur Jésus, qui a promis: “Là où deux ou trois se rencontrent en mon nom, je suis là parmi eux” (Matthieu 18,20); “regardez. Je suis toujours avec vous; oui, jusqu’à la fin du monde « (Matthieu 28,20).[2]
La synodalité parle donc de la dynamique de suivre le Seigneur qui est présent au milieu de nous. Cependant, il s’agit bien plus que de le suivre, mais de devenir témoins de lui dans le monde dans lequel nous vivons, et ainsi, d’inviter les autres à le suivre. Cela respecte à la fois la dimension communautaire et personnelle de la foi qui est enracinée dans l’expérience personnelle mais qui n’est jamais isolée de la communauté.
Le Saint-Père a pris soin d’éviter une systématisation excessive du concept de synodalité, préférant qu’il soit expérimenté plutôt que succinctement défini. Dans un discours aux fidèles de Rome à l’ouverture de la phase diocésaine du Synode sur la synodalité, le Pape François a déclaré:
La synodalité n’est pas un chapitre d’un manuel d’ecclésiologie, encore moins une mode ou un slogan à brandir dans nos réunions. La synodalité est une expression de la nature de l’Église, de sa forme, de son style et de sa mission. Nous pouvons parler de l’Église comme étant » synodale. »sans réduire ce mot à une autre description ou définition de l’Église.[3]
En d’autres termes, au-delà d’un concept théologique purement spéculatif, François considère la synodalité comme la méthode de l’Église.
Le pape François a cherché à distinguer le chemin synodal que l’Église est appelée à parcourir d’une sorte d’idéologie ou d’abstraction vague. Au lieu de cela, il a constamment invité l’Église à parcourir ce chemin ensemble, à faire l’expérience de la synodalité comme méthode, en grandissant dans une plus grande conscience de la présence du Seigneur au milieu de nous tout au long du chemin. En ce sens, nous ne sommes pas les protagonistes de ce processus, mais le Seigneur. La synodalité est la manière dont nous arrivons à le reconnaître.
De même, dans la même interview avec Trace Mgr Pierre a parlé de la convergence entre les implications personnelles et communautaires de la rencontre avec le Christ, la décrivant “non seulement comme « culture de la rencontre », comme dimension sociale, mais précisément comme rencontre avec le Christ, qui est très concrète.” Dans la convergence entre le personnel et le communautaire, il y a le Christ dont la présence au milieu de nous permet de cheminer ensemble. Une Église synodale est appelée à suivre le Christ à travers les circonstances concrètes de la vie, non pas comme un exercice sociologique, mais comme le résultat d’une rencontre avec celui qui prétend être le chemin, la vérité et la vie.
Tout comme les commentaires du pape François concernant la nature de la synodalité comme quelque chose qui doit être vécu, Giussani n’a pas écrit un traité théologique sur la synodalité: il l’a vécue. Dans une lettre de 2004 au pape saint Jean-Paul II, Giussani décrit la dimension synodale de son expérience dans la naissance du mouvement:
Non seulement je n’avais pas l’intention de “fonder” quoi que ce soit, mais je crois que le génie du Mouvement que j’ai vu naître réside dans le fait d’avoir ressenti l’urgence de proclamer la nécessité de revenir aux aspects élémentaires du christianisme, c’est-à-dire la passion du fait chrétien en tant que tel dans ses éléments d’origine, et rien de plus. C’est peut-être précisément cela qui a réveillé la possibilité imprévisible de rencontrer des personnalités des mondes juif, Musulman, Bouddhiste, Protestant et orthodoxe, des États-Unis à la Russie, dans un élan d’étreinte et d’appréciation de tout ce qui reste de vérité, de beauté, de bien et de droit en celui qui vit un sentiment d’appartenance.
La vie de Giussani a témoigné de la méthode synodale de l’Église, quelque chose qu’il a vécu intensément. Et son expérience a obligé des centaines de milliers d’autres à la vivre également. Après avoir suivi CL pendant près d’une décennie, j’ai réalisé que j’ai vécu une expérience de synodalité à travers ma participation à la vie du mouvement. Des réunions hebdomadaires du Clergé appelées École de communauté, aux assemblées, retraites et vacances, l’approche synodale inhérente à la méthode de Giussani devient claire.
Au cœur de la proposition éducative de Giussani se trouve une insistance sur la vérification de la foi dans l’expérience, dans les diverses rencontres que nous avons avec les autres, dans les profonds émois de notre cœur. Lorsque ceux qui suivent CL se réunissent, ils discutent précisément de cela. Ils discutent de leurs jugements sur leur expérience, c’est-à-dire qu’ils discutent de la façon dont Christ a été présent dans leur expérience. Dans un discours prononcé devant le Conseil national du CL en 1992, Giussani a déclaré:
La Méthode du Mouvement est indiquée dans le mot « événement »: révéler la présence du Christ comme un événement présent. C’est, en fait, dans un événement présent que le Christ est révélé de manière attrayante. La méthode du Mouvement consiste à remplacer des catégories perpétuelles ou des discours répétés par un événement.
La méthode qu’il décrit est vécue dans le contexte des diverses circonstances auxquelles on est confronté dans la vie. Il ne s’agit pas de “catégories ou de discours répétés”, ou comme l’a dit le pape François, “encore une autre description ou définition”, mais d’une rencontre concrète avec le Christ rendue évidente à travers notre propre expérience et les expériences des autres.
Cette méthode guide l’expression de soi du mouvement, même dans la manière dont il est dirigé. Le président de la Fraternité des Communion et Libération, la tête du mouvement, ne mène pas de haut en bas. L’orientation du mouvement est une réponse à ce qui se passe dans le monde et dans la vie de ceux qui suivent. Ce fait éclaire la phase diocésaine du synode en cours. L’exercice de l’autorité ecclésiale dans l’Église n’est pas une question d’imposition mais d’invitation.
Ceux qui dirigent l’Église-le pape, les évêques, les pasteurs, les responsables de divers mouvements et communautés religieuses—exercent une véritable autorité dans la mesure où ils aident les autres à dépendre plus profondément du Christ, qui n’est pas seulement présent à travers le Magistère de l’Église, mais dans et à travers les diverses circonstances de notre vie. Ce processus d’écoute de la manière dont le Christ est à l’œuvre dans l’Église indique la manière dont ceux qui sont en position d’autorité sont appelés à suivre. Comme le disait souvent Giussani “ » Personne ne génère à moins d’avoir été généré.”[4]
Chaque geste de grâce offre à ceux qui suivent une opportunité d’être générés, d’être rendus nouveaux par le Christ et de grandir dans une plus grande conscience du fait que nous dépendons de un Autre pour nous conduire, nous dépendons du Christ. Et ainsi, nous sommes appelés à être attentifs aux circonstances concrètes de la vie—nos relations, notre travail, nos études, les événements mondiaux, etc.- écouter et partager les uns avec les autres de telle sorte que nous devenions plus capables de reconnaître notre dépendance, non seulement des autres, mais du Christ qui se révèle à travers l’autre.
Nous ne sommes pas seuls sur ce chemin lorsque nous avons d’autres personnes pour nous montrer le visage du Christ, pour lui faire une présence concrète dans nos vies capable de briser les barrières qui nous conduisent sur le chemin de l’isolement. Seule une rencontre concrète avec quelque chose en dehors de nous nous rend compte que nous n’avons pas à nous protéger des coups durs de la réalité, car c’est précisément là que nous découvrons le sens de notre vie. Comme l’a récemment déclaré Mgr Pierre dans un discours aux évêques américains sur le thème de la synodalité, citant Giussani, “La réalité ne m’a jamais trahi.”[5] Ce qui, je le proposerais, est une autre façon de dire: “Le Christ ne m’a jamais trahi.”
Jésus-Christ est présent dans la réalité, et ainsi notre expérience vécue devient un lieu principal de rencontre avec lui. Avec la synodalité comme méthode commune, l’Église a la possibilité de mieux comprendre ce que cette présence signifie pour notre vie et pour la vie de l’Église. Comme Giussani le faisait remarquer à ses élèves alors qu’il enseignait au lycée à Milan, le Christ n’est pas seulement “le point central des prières dans l’Église, mais le point central de la vie. Et que signifie la vie? Tout. Le Christ est le point central de tout. Par exemple, le Christ est la racine d’une nouvelle vision de soi et du monde.“Il poursuit: « Dire que le Christ est le point central de la vie, c’est dire qu’il libère la vie. Cela signifie qu’il permet à la vie d’être la vie.”[6]
Bien au-delà de tout processus parlementaire, de toute tentative de démocratisation de l’Église ou d’un exercice prolongé de contemplation spirituelle ecclésiale, le Synode sur la synodalité que l’Église a entrepris ces derniers mois a l’occasion d’attirer le monde dans une expérience de foi capable d’embrasser toute la vie, selon la compréhension commune du Pape François et de Giussani: “la rencontre, le danger de l’idéologie, la dimension missionnaire, l’ouverture à l’autre, la relation entre le Christ et l’Église, le voyage ensemble, et aujourd’hui aussi, la synodalité comme méthode.”
Comme l’a déclaré Mgr Pierre en conclusion d’une récente homélie en l’honneur de l’anniversaire de la mort de Giussani, “Giussani nous a laissé un héritage de foi, et maintenant c’est le moment pour nous de continuer à faire connaître son charisme pour la vie de toute l’Église et pour ce pays.”[7] Je ne peux m’empêcher de penser que d’une certaine manière, cela se produit aujourd’hui à travers le ministère du pape François.
[1] C. f. Mgr Cristophe Pierre, Rencontre avec l’Humain, Tracce-Litterae Communionis, n ° 1 (2022).
[2] Commission Théologique Internationale, La synodalité dans la vie et la mission de l’Église, 103.
[3] Pape François, Discours aux fidèles du Diocèse de Rome, 18 septembre 2021.
[4] C. f. Luigi Giussani, Joie, Joie et Audace: Personne Ne Génère s’Il n’A Pas Été Généré, Tracce-Litterae Communionis, n ° 6 (1997).
[5] Mgr Christophe Pierre, Discours à l’Assemblée générale de la Conférence des Évêques catholiques des États-Unis, 16 novembre 2021.
[6] Alberto Savorana, La vie de Luigi Giussani, 180.
[7] Mgr Cristophe Pierre, Homélie à l’occasion du 16th Anniversaire de Fr. La mort de Giussani, 3 mars 2021.